Luttant contre un sentiment profond de fragilité, l'homme recherche des repères stables. Il en fut ainsi de certains artistes abstraits fascinés par la géométrie, dès le début de ce siècle et dont la quête était celle de la forme pure, universelle. Mais l'évolution des sciences nous a enseigné la relativité de tout système de référence. Le monde sensible des formes n'est qu'illusion. Tout est mouvement.
L'instabilité est au coeur de la matière qui oscille entre deux pôles extrêmes, deux néants : des états homogènes ou hétérogènes absolus. La règle du jeu est complexe. Elle dépasse notre entendement, nous émerveille et nous plonge dans une réflexion vertigineuse : la pensée n'est-elle pas le stade ultime d'une matière infiniment complexe et fragile, une matière qui se regarde penser dans son propre miroir ?
L'artiste doit ouvrir une fenêtre sur cette dimension instable du réel. Il s'agit bien là d'une perspective dont l'ampleur est comparable à celle de la Renaissance. Ainsi, en manipulant les formes les plus élémentaires de la géométrie, telles le carré, le cube, nous pouvons réactiver notre perception tout en révélant les mécanismes invisibles qui gouvernent l'ordre apparent. Une lecture ouverte de l'oeuvre, séquentielle, alternative, mobile, par le jeu plastique des fragmentations, des contrastes, des orientations, oblige mentalement le spectateur à un effort d'identification.
Simultanément, il saisit la dynamique de la structure intime de la matière, c'est-à-dire qu'il perçoit visiblement les forces, les énergies qui sous-tendent toute configuration sensible. La forme n'est plus alors que la résultante d'un enjeu structurel et nous la percevons infiniment plus vivante, dans toute sa cohésion dynamique.
Philippe Vacher – 1990